Notre prise de décision, toute rationnelle au pays de Descartes, est parfois, tout de même, biaisée. Parmi ces effets qui dérèglent notre jugement, prenons le temps de nous arrêter sur l’effet perturbateur de la gratuité dans nos décisions.
Dan Ariely[i] (professeur en économie comportementale à l’université Duke) a mené plusieurs expériences pour tenter de mesurer et comprendre « l’effet gratuité ».
L’une d’entre elles consistait à proposer, dans un lieu public, un choix entre deux chocolats : l’un, de bonne qualité, pour 15 centimes, l’autre, nettement plus ordinaire, pour 1 centime. Dans cette première version, le choix des badauds s’est porté à 73% pour le chocolat de bonne qualité à 15 centimes.
Dans une deuxième étape, la proposition a été modifiée, pour introduire la gratuité, en baissant les deux prix de 1 centime. Vous conviendrez avec lui, et avec nous, que le choix des passants n’aurait pas dû s’en trouver modifié, étant donné que l’écart de prix et l’écart de qualité entre les deux options n’étaient pas altérés. Pourtant, cette fois-ci, seuls 31% des « clients » choisirent le meilleur chocolat, tandis que 69% se laissèrent séduire par le chocolat ordinaire – et gratuit. L’expérience a été renouvelée dans diverses configurations, toujours avec le même résultat. Surprenant ? Irrationnel, n’est-ce pas ?
Si l’on en croit Dan Ariely, cette expérience a également été confortée par d’autres, et, en effet, la présence de la gratuité dans une alternative fait comme « perdre ses moyens » à l’homme face au choix. Cela serait le résultat d’une émotion forte déclenchée par la perspective d’obtenir un objet gratuitement. Elle pourrait être reliée à notre profonde réticence au risque de perdre : en optant pour l’objet gratuit, nous ne prenons aucun risque (d’avoir ‘mal’ dépensé notre argent). Le gratuit réduirait donc notre capacité à évaluer. C’est ce que nous appellerons ‘l’effet gratuité’, piège invisible et inconscient, qui conduit par exemple un convive dans un restaurant à se resservir des desserts plus que de raison lorsque ceux-ci sont ‘à volonté’ – donc gratuits.
En conclusion, et si l’effet gratuité agit comme un perturbateur de notre « capacité à évaluer », l’entreprise aurait donc intérêt à traquer toute situation de gratuité illusoire :
– Repérer les biens et services apparemment ’gratuits’ : en entreprise, ce seront par exemple des fonctions support internes qui ne seraient pas facturées à leurs utilisateurs ; ou bien l’organisation de réunions qui parfois mobilisent 20 personnes dans une illusoire gratuité alors qu’elles représentent un coût réel pour l’entreprise.
– Associer une ‘valeur’, même faible, à ces biens et services : c’est le « prix » à payer pour se libérer de « l’effet gratuité » et retrouver toute notre capacité d’évaluation, comme le montre l’exemple des chocolats.
Ariseal
Décider cela se travaille
[i] Dan Ariely, C’est (vraiment) moi qui décide, éditions Flammarion.