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« MUCEM : Un processus décisionnel chaotique »

Décider, ça se travaille !

Plus de 3 millions de visiteurs dans les 15 premiers mois de son ouverture, et une fréquentation supérieure aux estimations ; lauréat du Prix du Musée 2015 du Conseil de l’Europe, le MuCEM, Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, a de quoi faire des jaloux. La décision d’ouverture d’un musée consacré aux Arts et Traditions Populaires à Marseille semble donc bien être un succès.

Mais, comme le détaille la Cour des Comptes dans son rapport public annuel de février 2015, « Le MuCEM : une gestation laborieuse, un avenir incertain », les équilibres financiers sont lourdement obérés par divers atermoiements, manque de vision, et dérapages de coûts. Il semble que le projet du MuCEM ait souffert non pas de l’inexpérience des décideurs, mais bien du fait que ceux-ci soient tombés dans des ornières classiques de la mauvaise décision.

En premier lieu, l’absence de vision, de finalité.

Comme l’indique la Cour des Comptes, le MuCEM reste un objet non identifié : pas de réflexion sur le ‘sens’ d’un musée de société, ce qui entraîne un déficit de contenu -collection française à 80%, et dans les 20% restant, seuls 7% viennent de la Méditerranée, alors que le musée se veut centré sur cette dernière!-. Le projet lui-même est devenu schizophrène avec deux développements ‘quasiment irréconciliables’ : une collection essentiellement française, centrée sur la société préindustrielle, et de l’autre côté un projet scientifique et culturel (PSC) axé sur les civilisations de l’Europe et de la Méditerranée.

Résultat : le contenant (réalisation architecturale) l’emporte sur le contenu – le projet objet du musée. Et c’est toute la « soutenabilité financière » du projet qui se trouve fragilisée.

Lorsqu’une vision n’est pas claire, les décisions intermédiaires ne peuvent tout simplement pas s’ajuster. Lorsqu’il ne sait pas où il va, quelle finalité est poursuivie, comment le décideur peut-il décider ‘dans le bon sens’ ?

En second lieu, des biais à l’œuvre dans la décision.

Tout d’abord, un enchaînement de lentes décisions retardent l’ouverture du musée de 2008 à 2013 (60 mois d’indécision, mise en sommeil, puis redémarrage lorsque Marseille est devenue capitale de la culture en 2013). Il est vrai que le retard d’ouverture dans les grands projets architecturaux publics est quasiment systématique : Opéra de Sydney – lancé en 1958, le projet avait déjà 2 ans de retard en 1963-, ou plus près de nous, le musée Picasso de Paris -fermé en 2009 pour deux ans, le musée ré-ouvrait seulement en octobre 2014-.

Ensuite, une fréquentation faible malgré l’engouement initial : sur les 3.2 millions de visiteurs depuis l’ouverture, 70% n’ont pas visité d’exposition ! Comme si on allait au Louvre, mais sans y rentrer …

Alors que se passe-t-il ? Pourquoi des personnes expertes et expérimentées se trompent-elles sur l’évaluation du temps de la réalisation de projets, de façon quasiment systématique ? Pourquoi surestiment-elles les entrées lorsqu’elles établissent léquilibre du projet ?

Ariseal y voit deux effets conjugués :

Ce que l’on appelle tout d’abord la ‘surévaluation de soi’.

Ce biais concerne les personnes ou organisations qui pensent qu’elles, contrairement aux autres, sont plus à l’abri des impondérables, que les autres projets prennent toujours du retard, mais pas le leur, et qu’elles sont malgré tout meilleures que la moyenne. Quel est le coût de ce biais cognitif bien connu des psychologues ? Le coût pour le MuCEM par exemple : de 88 millions au départ, à 160 millions d’Euros à l’arrivée, moins certes que pour l’Opéra de Sydney, budgété à 7 millions de AUD au départ, pour finir à 102 millions….

Ensuite, un mécanisme que l’on pourrait nommer amnésie, une sorte d’incapacité à mobiliser l’expérience pour ajuster sa décision.

N’y avait-il donc aucune leçon à tirer des exemples de Sydney et du musée Picasso ? Les décideurs sont-ils frappés d’amnésie, incapables d’utiliser leur expérience, et celle d’autrui, dans leur décision ? Les circonstances d’une décision sont toujours singulières, et le « copier-coller » rarement voire jamais la meilleure solution. Cependant, il est possible d’intégrer ces expériences parmi les repères de la décision. C’est le talent de l’improvisateur, qui, loin d’être non-préparé, est capable de comprendre la singularité de la situation, et de mobiliser expérience et culture pour ajuster sa décision.

Meilleur que la moyenne, surestimation du soi, excès de confiance, narcissisme organisationnel, amnésie : autant de biais à l’œuvre dans la décision, dont les conséquences (le coût) sont désastreuses. Les parades à ces biais existent, encore faut-il les faire émerger dans la conscience des décideurs.

Ainsi, « au final, moins de deux ans après son ouverture, le MuCEM dont l’équilibre économique et le projet muséal restent encore largement à définir, compte parmi les chantiers muséaux les plus coûteux de la décennie ».

Et la suite ?

Le bâtiment de l’ancien musée des Arts et Traditions populaires à Paris, qui hébergeait donc l’ancêtre du MuCEM, est désormais vide, à l’abandon, avec un coût de gardiennage de 400 000 euros par an. Il attend toujours sa destination. Vont se poser à nouveau les questions du sens des décisions, de la vision, et de la qualité des décisions intermédiaires.

Alors, amnésique ou pas ? Décider, cela se travaille !