Un humour très britannique. A première vue, ce montage-photo de la une de ‘The Economist’ est simple à décrypter : quand le président de la République Française, auréolé de sa réussite fulgurante, emmène l’Europe vers le miracle d’un destin meilleur, la chef du gouvernement britannique, dont les escarpins en léopard sont en train de sombrer, n’a rien compris et emporte son pays dans sa propre noyade.
Pourtant, l’on pourrait faire une toute autre lecture de cette image. Car, peut-on vraiment réussir ses décisions, lorsque l’on marche sur l’eau ?
Ce montage pourrait en effet être la représentation parfaite du risque de narcissisme organisationnel.
Le narcissisme organisationnel est une déviance inconsciente d’un groupe et de la façon dont il se perçoit et perçoit l’extérieur. Le groupe, composé d’éléments de grande qualité et légitimes, développe collectivement la croyance en son invincibilité, sa supériorité.
En pleine hybris, prêt à croire que sa force et sa légitimité le rendent capable (même) de marcher sur l’eau, le groupe va prendre des décisions plus risquées, moins éclairées, parfois irrationnelles.
Les autres, ceux qui ne font pas partie du groupe, voient leur parole minimisée, évincée. Dans notre image, la voix britannique, dissonante sur les questions d’Europe, est sous l’eau : elle ne risque pas d’être entendue. Ainsi, tout ce qui pourrait contredire le groupe est inconsciemment mis de côté.
Le meilleur exemple de narcissisme organisationnel est LTCM, hedge fund composé entre autre de deux prix Nobel, et un ex vice-président de la banque centrale américaine. Avec tant de cerveaux et tant d’audace, rien ne pouvait leur résister : le fonds finira à 110 milliards de dollars de perte, sauvé par la FED en 1998.
Autre exemple, avec l’administration Kennedy et la Baie des Cochons en 1961. Entouré des meilleurs issus d’Harvard et Princeton, ou de personnalités reconnues comme A. Dulles à la CIA, J. Kennedy a subi dès le début de son mandat présidentiel un revers colossal, qualifié de ‘Perfect failure’*ou de ‘Brilliant disaster’* par les commentateurs. Kennedy lui-même reconnaitra que la Baie des Cochons fut son plus gros échec, mettant même à mal sa présidence.
Comment donc réussir ses décisions quand le risque est grand de commencer à ‘marcher sur l’eau’ ?
Gardons en tête que la ressource contre ce biais de la décision collective n’est pas dans le groupe, puisque cette déviance du groupe est inconsciente et donc non identifiée par les parties.
Il faudra donc organiser l’existence d’opinions dissonantes, de personnalités qui ne sont pas et ne pensent pas comme le groupe, qui n’en font pas partie. Mettre en place des mécanismes dans lesquels le « fou du roi » pourra s’exprimer, être entendu. La liberté de parole est clé, et a besoin d’être organisée : debriefings réguliers, appel à des consultants extérieurs, l’objectif étant de faire tomber l’émotion qui unit le groupe en le faisant basculer dans plus de rationalité.
En entreprise, le narcissisme organisationnel est un risque majeur, surtout pour les groupes en situation de réussite. Ne pas le contrer, c’est laisser une porte ouverte à la chute.
Ariseal, décider cela se travaille !
*The Brilliant Disaster, Jim Rasenberger
*The Perfect Failure, Trumbull Higgins